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NOUVELLE MISE A JOUR LE 15 avril 2014

mercredi 9 décembre 2009

Le 152e RI dans LA SECONDE BATAILLE DE LA MARNE

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LA CONTRE-OFFENSIVE
Saint-Gengoulph, la Grenouillère, le Bois du Chàtelet (18-25 juillet 1918)
...
Du Clignon jusqu’à la Vesle Et de l'Yser jusqu'à l'Escaut,
Pour eux chaque nouvel assaut Est une victoire nouvelle.
(Chant du régiment.)

Certes, il y avait de quoi se réjouir. La France avait été à deux doigts de sa perte. Une fois de plus, elle venait d'être sauvée. Mais la situation restait inquiétante. Jamais, depuis le mois d'août 1914, les Boches n'avaient menacé Paris d'aussi près. Et quand on comparait le nouveau front au front de 1917 on ne pouvait s'empêcher de trembler. De l’œuvre de la Marne, de l’œuvre de la Somme, de l’œuvre du Chemin des Dames, il ne restait plus rien. Les Boches ne s'étaient pas contentés de reprendre le terrain que de­puis quatre ans, au prix de quels sacrifices ! les armées alliées leur avaient arraché lambeau par lambeau, ils avaient infligé à la célèbre théorie de l'inviolabilité du front un cinglant démenti, et réalisé en quelques semaines une avance de plus de 50 kilomètres.

Le 15-2 au retour de Belleau, songeait au passé, à Cléry, à Sailly, à Vauclerc. Il songeait surtout à l'avenir. Les Boches laissaient entendre qu'ils multiplieraient leurs atta­ques. Que le désastre du Chemin des Dames se renouvelât, et c'était la prise de Paris, la défaite complète, la paix hon­teuse, la disparition de la France. Et ces hommes,, que la perspective de la mort n'avait jamais effrayés, étaient épou­vantés à la pensée que la Patrie pût mourir. Ce qui les préoccupait, ce n'étaient pas les risques qu'ils allaient pro­chainement courir, mais les risques mêmes de la France.

Préoccupation généreuse, inquiétude féconde, qui devait les décider à consentir joyeusement les nouveaux sacrifices qu'on allait être forcé de leur demander.

Ainsi le séjour à Méry, puis à Moitiébard, fut-il moins une période de détente qu'une période de méditation. Lorsque, le soir venu, du haut des terrasses de Moitiébard, les hommes regardaient la Marne, lorsqu'ils suivaient les harmonieux lacets de l'incomparable vallée, lorsqu'ils con­templaient les collines boisées qui s'étageaient à l'horizon et les jolis villages accrochés à leurs pentes, les hommes méditaient. Était-ce pour les récompenser de leur héroïque résistance à Belleau qu'on les retenait sur les bords de la Marne ? Non, certes. S'ils étaient là, c'était parce que pour la seconde fois, la Marne était menacée, et que l'en­nemi se préparait à marcher sur Paris. S'ils étaient là, c'était parce que l'on comptait sur eux pour interdire aux Boches le passage de la rivière et défendre ainsi la clef de la capitale. Tu n'étais pas seulement pour eux, ô Marne, le joyau qu'on admire. Tu étais en plus le trésor convoité par l'ennemi. Tes admirateurs étaient aussi tes gardiens. Que de gauches, mais de jolis serments d'amour, que de troubles, mais de puissantes protestations de fidélité tu dus entendre, tandis que grondait, proche et menaçante, la grosse voix des canons allemands

Le 15-2 était en ligne devant Brumets (Aisne) lorsque les Boches déclenchèrent leur troisième offensive. On se sou­vient de l'énergique résistance de l'armée Gouraud et du retentissant échec que les Allemands subirent devant Reims et devant Dormans.

Le 17 juillet, alors que le 15-2 s'apprêtait à être relevé, un contre-ordre brusque arriva. Le 15-2 resterait sur place. Pourquoi ? On ne devait pas tarder à connaître les raisons de ce contretemps. Jamais offensive de grand style n'avait été tenue si secrète. Était-elle décidée depuis longtemps ? Était-elle au contraire une riposte improvisée à l'offensive allemande du 15 juillet ? Toujours est-il que, le 17 au matin, personne au 15-2 ne se doutait de rien, et que, le 18 à la première heure, le régiment prenait part à la victorieuse offensive des Xe et VIe armées, offensive qui devait, on le sait, rejeter les Allemands de l'autre côté de la Vesle, nous rendre l'initiative des opérations et marquer pour l'ennemi le commencement du déclin.

L'ordre du jour du Maréchal Pétain disait en substance
« Les Boches ont réussi deux fois à percer notre front. Pourquoi ne réussirions-nous pas à notre tour à percer le leur ? » - Oui, pourquoi ? Cette question, les poilus du 15-2 se la posaient. Il n'y avait pas de raisons pour que les Fran­çais, qui avaient égalé les Boches dans la guerre de posi­tions, leur fussent inférieurs dans la bataille de rupture. Persuadés qu'ils réussiraient, décidés à prendre sur l'ennemi une éclatante revanche, les poilus du 15-2 partirent à l'as­saut le 18 juillet, avec une fougue endiablée. Les obus avaient beau pleuvoir, les balles de mitrailleuses siffler, les hommes avançaient quand même, et dans un ordre parfait escaladaient les pentes de Saint-Gengoulph. Le premier objectif fut rapidement atteint. Jamais le 15-2 n'avait effectué un pareil bond. En une heure il avait réalisé une progression de 3 kilomètres, tué ou fait prisonniers tous les Boches qui résistaient, pris de nombreux canons de cam­pagne. Le but était atteint. L'ennemi, frappé au défaut de la cuirasse, surpris, culbuté, avait été obligé de se replier. Le 3e bataillon, que ce succès inespéré avait grisé, aurait voulu, malgré ses pertes, continuer à talonner les Boches. Il reçut l'ordre de s'arrêter. Il fallait attendre, avant de reprendre la marche en avant, que l'artillerie se déplaçât, l'artillerie lourde surtout, et que tous les services de l'ar­rière fussent en mesure de fonctionner utilement. Ce n'est que le 30 juillet que l'offensive reprit.

Ce fut le tour du 2e bataillon. Les Boches avaient pro­fité de ce répit pour organiser devant la Grenouillère une ligne de défense solide et hérissée de mitrailleuses. Cette ligne était tenue par des arrière-gardes qui avaient reçu l'ordre de tenir le plus longtemps possible et de se faire tuer sur place. Pendant ce temps, les Boches espéraient pouvoir se réorganiser, voir clair, choisir un terrain d'attente, surtout sauver leur matériel. Le 2e bataillon, dont le jeune capi­taine Piard-Deshayes venait tout récemment de prendre le commandement, attaqua la Grenouillère le 20 juillet au point du jour. Il fut accueilli par une véritable grêle de balles. Les arrière-gardes allemandes exécutaient froide­ment leur consigne. Dès le départ, le 2e bataillon subit de terribles pertes. Mais il était entraîné par un jeune officier pour qui le danger n'existait pas. Le 2e bataillon suivit son chef. Les hommes voyaient d'ailleurs les mitrailleurs alle­mands qui leur tiraient dessus. Si plus tard ils devaient rendre hommage à ces braves qui se savaient sacrifiés, mais qui faisaient quand même leur devoir, les poilus du 2e ba­taillon n'avaient à ce moment qu'un but, venger les cama­rades et se débarrasser d'adversaires gênants. Le 2e bataillon s'empara de la Grenouillère et des mitrailleuses qui la dé­fendaient. Le 20, au soir, le contact était perdu. Lés Boches s'étaient repliés, sans doute sur de nouvelles positions. Dès le 21, la poursuite reprit. Le régiment était en deuxième ligne. Ses trois bataillons marchaient l'un derrière l'autre en formation articulée. Cela rappelait les manœuvres du temps de paix. Jamais depuis la guerre, le 15-2 n'avait eu l'occasion de faire une telle marche d'approche. C'était bien la guerre de mouvement, et la guerre de mouvement offen­sive. Le moral du régiment, inutile de le dire, n'avait jamais été aussi élevé.

Le 22 au matin, le 1er bataillon (capitaine Blondel) pre­nait l'attaque à son compte. Il était chargé de dépasser le 133e régiment d'infanterie, qui avait été arrêté le 21, le long de la route de Soissons à Château-Thierry. Le Boche manœuvrait à merveille. Contraint par la foudroyante of­fensive du 18 juillet à battre en retraite, il essayait par des résistances intermédiaires où il employait peu d'hommes, mais d'énormes moyens de feux- artillerie et mitrailleuses - de gagner du temps pour évacuer son matériel, grouper ses réserves et s'organiser solidement de l'autre côté de la Vesle. Le temps pressait donc, et coûte que coûte il fallait progresser. Le 22 et le 23 juillet, le 1er bataillon fut aux pri­ses avec les innombrables mitrailleuses dont les Boches avaient savamment garni les lisières du bois du Châtelet. L'artillerie était impuissante à les démolir toutes. Chaque fois qu'une vague sortait et s'approchait des lisières, elle était impitoyablement fauchée. Des compagnies entières disparaissaient, telle la 3e compagnie, toujours commandée par le capitaine Flottes, et qui devait laisser devant le bois du Châtelet plus de 60 cadavres ! Mais le ler bataillon vou­lait sa part de gloire. Ce ne fut pas la moins belle. Les hommes du 1er bataillon, grâce à leur ténacité, à leur mépris du danger, à la volonté d'aboutir, enlevèrent le bois du Châtelet.

Le 24 au soir, le 3e bataillon, avant-garde du régiment, occupait la lisière nord du bois de Beuvardelle. Les Boches s'étaient tout à fait ressaisis. Le rétrécissement de leur front leur permettait de faire sur les avant-gardes françaises de violentes concentrations d'artillerie. Déjà le 15-2 devant la Grenouillère, et surtout dans le bois du Roi, avait eu à souffrir du bombardement ennemi. Ce bombardement devait revêtir dans le bois de Beuvardelle le caractère d'un véritable tir d'écrasement. Pendant toute la nuit du 24 juil­let et toute la journée du 25, les 77, les 105, les 150, arro­saient systématiquement la lisière nord du bois. A chaque rafale, c'étaient d'horribles cris, des plaintes lugubres, dès appels déchirants. Les hommes n'avaient pas encore eu lé temps de se creuser des trous. Ils étaient serrés les uns contre les autres, blottis derrière des troncs d'arbres, couchés le long d'étroits fossés. Le colonel Meilhan, qui avait installé son P. C. en première ligne, était au milieu d'eux, avec toute sa liaison et un peloton de l'escadron divisionnaire. Sans arrêt les obus tombaient. Ils décapitaient les arbres, éventraient les chevaux, projetaient contre les branches des morceaux sanglants de chair humaine. Le colonel Meilhan, assis au fond d'un petit trou creusé à la hâte, et recouvert d'une seule toile de tente, écrivait, dictait, au milieu des cadavres Le commandant du Bourg, depuis Sailly, ne s'était pas trouvé à pareille fête. Pas de sape, pas même de trous d'obus le maximum de danger. Il n'en demandait pas davantage.

Au fond, la guerre de mouvement était plus terrible, plus dure encore que l'autre. A chaque bond, tout était à orga­niser. Plus on avançait, plus les ravitaillements avaient de difficultés pour suivre, plus les blessés avaient de chemin à faire pour arriver à l'ambulance. En ligne, les hommes vi­vaient dans de petits trous individuels, n'offrant aucune protection. Pourtant les bombardements auxquels ils étaient soumis égalaient en violence ceux qu'ils subissaient dans les tranchées profondes ou sous l'abri souterrain. Tous les obus portaient. Quant aux P. C., ils devaient renoncer aux confortables installations d'autrefois. Adieu les repas à heu­res fixes, les couchettes, la machine à écrire et le téléphone ! A Beuvardelle, on mange quand on peut, il n'y a ni tables ni chaises : on mange pourtant. A Beuvardelle, on couche par terre, les uns sur les autres : on dort quand même. A Beuvardelle, on écrit les ordres au crayon, sur de petits chif­fons de papier : les ordres arrivent. A Beuvardelle, on est obligé d'employer la T. S. F. : elle remplace avantageusement le téléphone. Quelques mois plus tôt, la chose aurait paru invraisemblable. Le 15-2, on le voit, s'est vite fait à la guerre de mouvement. Il semble même qu'il n'ait jamais fait que cela. En tout cas, il ne regrette pas toutes les commodités de la guerre de tranchées, dont il a été privé du jour au len­demain. Il est heureux de pouvoir s'en passer. N'étaient-elles pas, en effet, une preuve d'impuissance, et comme un aveu de faiblesse ? Certes, la vie à Beuvardelle n'est pas commode, mais, entre cette vie et la vie de secteur, le 15-2 n'hésite pas. Beuvardelle n'est-il pas à plus de 20 kilomètres des tran­chées de départ de Brumetz ? Ne sommes-nous pas sûrs dé­sormais de gagner la guerre ? Qu'importe la souffrance ! Qu'importe la mort même ! L'horizon s'éclaircit. Les hommes voient poindre le salut. Beuvardelle est pour eux l'aurore de la victoire.

Le 25 au soir, le 13e groupe de B. C. P. relevait le 15-2 dans le bois de Beuvardelle. Le régiment était épuisé. Il avait perdu plus du tiers de son effectif. C'est pendant cette période du 18 au 25 juillet que le commandant Jenoudet, qui servait au 15-2 depuis le début de la guerre, avait pris part d'abord comme lieute­nant, puis comme capitaine, puis comme chef de bataillon, à toutes les opérations du régiment, gagné dix citations, fut atteint d'une terrible blessure qui l'empêcha de célébrer avec le régiment les fêtes de la victoire.

A la suite de ces dures journées, le 15-2 fut cité pour la sixième fois à l'ordre de l'armée. Il conservait toujours son avance sur tous les autres régiments métropolitains. Il avait obtenu le premier la fourragère verte et la fourragère jaune. Le premier encore, il obtenait la fourragère rouge.

Cette fourragère qu'il avait payée de son sang et à la­quelle il tenait plus qu'à tout au monde, le 15-2 ne devait là recevoir solennellement qu'après l'armistice. Et de fait, de­puis le 18 juillet jusqu'au 11 novembre, le régiment ne con­naîtra plus de repos. De temps en temps il ira passer quel­ques jours dans quelque village en ruine, comme Dam­mard. Jamais plus il ne sera retiré du front. L'heure est venue de mettre les bouchées doubles. Le maréchal Foch ne laissera plus de répit aux armées alliées. Il en laissera encore moins au Boche. Ainsi, il hâtera la victoire et le retour des poilus dans leurs foyers.

Certes, le 15-2 ne se battra pas tous les jours; il faudra bien qu'il souffle. Il soufflera en secteur. Tandis que l'armée Mangin attaquera le Chemin des Dames par l'ouest, une autre armée dont fait partie le 15-2 s'accrochera à la rive sud de la Vesle, immobilisera des divisions allemandes devant elle, surveillera les mouvements de ces divisions, se tiendra prête, le moment venu, à manœuvrer à son tour. Dans la région de Fismes d'abord, puis en avant de Mont-­Notre-Dame, le 15-2 montera pendant six semaines une garde vigilante. Dans ces secteurs qui n'en sont pas, puisque tout est à organiser, tranchées, abris, boyaux, etc.... les hommes travailleront ferme, repousseront plusieurs coups de main, subiront de jour de terribles bombardements à ypérite, et de nuit des bombardements par avions, qui les empêcheront de dormir. Dans ces secteurs, le 15-2 ne con­naîtra pas de détente. Et il sera considéré comme un régi­ment au repos, capable du jour
au lendemain de participer à quelque nouvelle offensive.


Source : Historique anonyme du 152e R.I., Berger Levrault, Nancy
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